Le microcrédit rapporte beaucoup d’argent en Inde, si bien que ce secteur, qui voit son image ternie par les excès de quelques-uns, cherche à se moraliser
Rançon d’une folle croissance, ces dernières années, le secteur de la microfinance indienne est en difficultés. « Cette crise n’est pas la première, mais sans aucun doute la plus sévère », relève Thomas Mehwald, conseiller de Sa-Dhan, l’association des professionnels de ce secteur économique qui est basé sur l’attribution de crédits de faible montant (« microcrédits ») à des familles pauvres pour les aider à conduire des activités productives ou génératrices de revenus leur permettant ainsi de développer leurs très petites entreprises.
Le doute s’est installé, l’été dernier, avec l’entrée en Bourse d’un des leaders du secteur, une ancienne ONG, SKS Microfinance. Il s’est renforcé trois mois plus tard, quand SKS a publié ses premiers résultats : des profits plus que doublés, représentant plus de 10 % du chiffre d’affaires. Puis il y a eu, mi-octobre, une cinquantaine de suicides de villageois surendettés, dans l’État d’Andhra Pradesh, dans le sud du pays. Dix-sept étaient endettées auprès de SKS.
Les autorités locales ont réagi par un décret restreignant considérablement l’activité des prêts. Les remboursements ont chuté. Et, depuis, des dizaines d’institution de microfinance (MFI) ne peuvent plus rembourser les banques qui leur ont prêté de l’argent.
"Il ne faut pas jeter l’opprobre sur tous"
En Inde, le débat est devenu vif sur le fait de savoir si une institution de microfinance a bien sa place en Bourse. Les fondateurs de SKS assurent de leur côté qu’ils ne font que « drainer l’argent du marché vers les plus pauvres ». Les généreux salaires qu’ils se sont octroyés sèment le doute sur cet argument. Mais la dérive de cette institution ne doit pas remettre en question tout un modèle, jugent les responsables du secteur.
Ils font valoir qu’aujourd’hui, grâce aux 264 institutions du secteur, plus de 26 millions de personnes bénéficient de petits prêts qui leur permettent d’améliorer leur vie et de sortir de la misère. « Il ne faut pas jeter l’opprobre sur tous, 99 % des MFI font un travail remarquable », plaide Xavier Bertrand, représentant en Inde de l’ONG Planet finance. Il reconnaît en revanche la nécessité d’introduire de nouvelles règles.
Car le secteur a cru trop rapidement, sans régulation. Depuis cinq ans, le nombre de personnes bénéficiant de prêts a doublé chaque année. « Cette croissance a conduit a des dérives. Certains ont perdu de vue l’objectif initial », admet Somesh Dayal, expert de Sa-Dhan.
Trop de prêts ont été consentis, trop vite
C’est bien ce qui s’est produit à SKS. L’arrivée de nouveaux actionnaires à conduit à une recherche de rentabilité maximale. Trop de prêts ont été consentis, trop vite, par des responsables locaux qui étaient poussés à faire du chiffre.
« La microfinance, c’est autre chose. Cela nécessite d’être intégré dans un village à travers d’autres activités qui sont celles d’une ONG classique, l’éducation ou la santé. Il faut être en mesure de discuter du projet que l’on finance pour s’assurer que l’emprunteur pourra rembourser », explique Somesh Dayal.
Malgré tout, Sa-Dhan ne condamne pas l’entrée en Bourse de SKS. Car l’un des problèmes de ce secteur, en Inde, est que les institutions de microfinance n’ont pas le droit de collecter de l’épargne. « Si elles veulent prêter, elles doivent donc trouver de l’argent », explique Somesh Dayal. Sa Dhan plaide donc pour une évolution législative.
Ce changement est en cours. L’association promeut aussi un code de bonne conduite par lequel elles s’engageraient à ne pas exercer de pression sur les emprunteurs pour obtenir les remboursements ; pratiquer plus de transparence sur le mode de calcul du coût du crédit ; interdire les prêts à des personnes déjà endettées par ailleurs. C’est au prix de ces quelques règles que le secteur pourra retrouver pleinement son rôle. Car il reste le meilleur levier pour combattre la pauvreté.
Alain GUILLEMOLES, à DELHI
02/12/2010 18:29 la-croix.com